Tapas y Jamón, livraison de tapas

Les traditions ? Des métissages qui ont réussi !

La naissance des traditions est souvent la traduction des métissages. Dans la cuisine espagnole, le salmorejo andalous en est un exemple intéressant. Tellement de fruits et légumes courants aujourd’hui nous viennent de la conquête des Amériques ! Notre culture culinaire d’aujourd’hui témoigne de notre intérêt pour celle des autres pays.

DES TRADITIONS MENACÉES ?

À entendre certains, on en viendrait à croire que notre culture et nos traditions seraient figées depuis si longtemps et se révéleraient si fragiles qu’il nous faudrait les défendre de toute souillure exogène. Leur authenticité serait menacée d’extinction dans le maelström du « grand remplacement ».

Pourtant, si nous accordons autant de valeur à nos traditions, n’est-ce pas justement parce qu’elles témoignent de la richesse de notre histoire ? Une histoire faite de rencontres plus ou moins souhaitées (les espagnols glorifient davantage la découverte des Amériques que les invasions maures), d’inventions, de nécessités culturelles, politiques et sociales…

LE SALMOREJO, ENFANT DU MÉTISSAGE

Salmorejo andalous
Salmorejo andalous

Demandez à un andalou de citer les spécialités traditionnelles de sa région. Il vous parlera très vite du salmorejo. C’est une délicieuse soupe froide et épaisse faite de pain rassis, de tomate, d’ail, d’huile d’olive et de vinaigre. Le tout est pilé (mixé désormais) et dégusté tantôt avec des œufs durs émiettés, tantôt avec des lardons de jambon cru ou tout autre délice disponible sur le moment.

Son histoire est passionnante. Elle remonte aux invasions romaines du IIe siècle après JC. Le blé constitue alors l’aliment-clé de la ration du légionnaire. On le consomme de différentes manières, notamment en pain ou en bouillie, alors agrémentée des viandes et légumes du moment… et d’huile d’olive, bien sûr ! Voilà les bases de notre recette solidement posées.  Il y a presque 2000 ans, amenées de force plus que de gré par les armées romaines.

Il nous manque encore la tomate. Originaire des Andes, elle était domestiquée par les Aztèques quand Hernán Cortés entre dans Tenochtitlán (actuelle Mexico) en 1519. Si l’essentiel de l’Europe s’en désintéresse jusqu’au XIXe siècle, tel n’est pas le cas de l’Andalousie. Elle y est cultivée, au moins par endroits, dès le XVIIe siècle.

Présents au même endroit au même moment, inévitablement, notre bouillie romaine a rencontré notre fruit américain. S’ensuivit un mariage d’amour tant le mélange est délectable. Et il donne naissance à une tradition authentiquement espagnole.

NOS TRADITIONS ? PAS SI ANCIENNES…

Christophe Colomb se fait offrir de nouveaux légumes
Christophe Colomb se fait offrir de nouveaux légumes

Faisons court : viennent entre autres d’Amérique la tomate, la pomme de terre, le poivron et le piment, la courgette et toutes les cucurbitacées. Le riz et l’aubergine, d’Extrême-Orient, ont été introduits par les arabes. Tous ces végétaux se sont lentement développés en Europe, essentiellement à partir du XVIIe siècle.

Forts de cet éclairage, quel regard porter sur les plats « traditionnels » de la cuisine méditerranéenne ? Pizza napolitaine, paella valencienne, ratatouille provençale, gaspacho andalou, poivrons marinés à la catalane…

Et si nous tirions de cette petite histoire quelques enseignements ?

En premier lieu, ce que nous appelons nos traditions et notre culture semblent pas si anciens. ils sont bien moins enracinés qu’on ne voudrait spontanément le croire. Et dire que les rares touristes du XIXe siècle devaient trouver formidablement exotique une aubergine farcie !

LA TRADITION : LA CULTURE EN MOUVEMENT

Ce que l’on mange ou pas est au cœur de notre identité. Au point que les déracinés conservent longtemps leurs habitudes alimentaires originelles. Mais on constate combien cela résulte moins de produits et savoir-faire intangibles que de rencontres, de mélanges, de métissages. La tradition apparait alors comme une aventure pleinement vivante, toujours ouverte à l’autre et à notre propre génie. Elle refuse de se laisser enfermer dans une lecture rabougrie de notre identité.

En ma qualité de traiteur espagnol, on me demande souvent si mes croquettes sont authentiques ou si ma tortilla est traditionnelle. En creusant un peu l’échange, j’entends à mi-mots une question : « le faites-vous comme ma grand-mère ? ». J’aime ce rapport affectif à la tradition, que la présence ou non d’oignons dans la tortilla puisse tourner en procès d’authenticité.

Ce lien très fort à notre propre histoire dit ce qu’il y a d’appropriation et de mise en commun dans l’idée même de tradition. En tension entre passé et préoccupations du moment (par exemple de manger moins gras), l’amour de la tradition exprime notre souhait de toujours garder à vue notre enfance. Mais n’en déplaise à ceux qui en font un commerce politique, la tradition de l’autre n’affaiblit pas la mienne. Elles s’enrichissent.

Marc ALVAREZ-CARBO